Atteindre des objectifs ou chercher la nouveauté
Dans ce post, j’explore une idée simple mais contre-intuitive: et si viser des objectifs ambitieux n’était pas toujours la meilleure façon d’avancer ? Une réflexion nourrie par le livre Why Greatness Cannot Be Planned: The Myth of the Objective.
Bonjour à tous,
J'ai manqué quelques épisodes, et j'ai pris le temps de réfléchir à ce que je voulais faire avec cette newsletter et mon site web. Ma réflexion a été grandement nourrie par ma lecture du moment. Je vous en parle ici.
Lorsque j'ai commencé cette newsletter, mon objectif à long terme – un peu secret, je l'avoue – était de construire une audience qui pourrait, pourquoi pas un jour, devenir une activité à part entière. C’était ambitieux, mais j’étais confiant. Après tout, il suffisait d’être bien identifiable et régulier dans l’effort.
J’ai donc structuré le tout :
- Une méthode : raconter des histoires sur des sujets divers, en m’appuyant sur des graphiques et des données.
- Un nom : Infografix.
- Un ton et un logo.
Bref, un beau « packaging » bien ficelé.
Vous connaissez la suite : j’ai publié quelques histoires, avec des retours plutôt positifs, mais je n’ai pas tenu la distance. Etait-ce trop difficile de m’engager à fond dans mon travail, de passer du temps de qualité avec ma famille et mes amis, de faire du sport, de bien manger, et d’ajouter en plus une publication bimensuelle ?
Je ne pense pas que ce soit la vraie raison. On trouve toujours le temps pour ce qui compte vraiment, et ce projet comptait vraiment pour moi.
Le vrai problème, c’est que je me suis enfermé trop vite dans un cadre trop étroit, en me fixant moi-même des contraintes avant même d’avoir exploré ce qui me convenait. Je me suis imposé seul un objectif. Peu à peu, ce qui m’enthousiasmait au départ est devenu une corvée que je m’imposais.
C’est là que le livre que je lis actuellement m’a fait réfléchir : Why Greatness Cannot Be Planned: The Myth of the Objective [1] (qu’on pourrait traduire par Pourquoi la grandeur ne peut pas être planifiée : le mythe des objectifs).
Le mythe des objectifs à long terme
L’idée principale du livre est que se fixer des objectifs lointains et difficiles (que ce soit à titre individuel, au sein d’équipes ou même de nations) peut être le meilleur moyen… de ne jamais les atteindre. À l’inverse, les auteurs soulignent que la recherche de nouveauté, l’exploration naïve et hasardeuse, peuvent s’avérer bien plus fructueuses.
L’exemple souvent mis en avant par les auteurs est celui de l’ordinateur : il n’aurait pas pu voir le jour il y a 1000 ans, parce qu’il manquait de nombreuses briques technologiques indispensables à son développement.
Encore fallait-il savoir quelles briques seraient nécessaires ! Au départ, personne n’aurait pu deviner que les tubes à vide seraient une étape clé pour construire le premier ordinateur. Si l’objectif initial avait été de « construire un ordinateur », peut-être que personne ne se serait penché sur cette invention pourtant essentielle.
Le problème avec les objectifs complexes à long terme, c’est qu’il est souvent impossible de prévoir à l’avance quelles seront les pierres angulaires indispensables pour les concrétiser. Pire, on avance souvent en s’appuyant sur des indicateurs de performance. Or, lorsque le chemin pour atteindre l'objectif n'est pas connu, ces indicateurs peuvent faire office d’une mauvaise boussole, nous induisant en erreur plutôt que de nous guider. Pire encore, à vouloir poursuivre des objectifs trop rigides, on peut devenir aveugle aux opportunités qui se présentent en chemin.
Explorer l’inconnu
De manière générale, on peut voir l’innovation comme une quête dans un immense espace avec plein de salles remplies de babioles farfelues et d’objets sans intérêt. L’agencement de cet espace et des salles est totalement imprévisible. Parfois, il faut défricher une zone apparemment inintéressante pour y découvrir, au bout du chemin, un trésor extraordinaire. Si notre seul objectif est de « trouver un objet toujours un peu plus intéressant que le précédent », on risque de ne jamais tomber sur l’objet le plus précieux.
Cette métaphore peut s’appliquer à la plupart de nos objectifs (pour peu qu’ils soient complexes).
Parfois, la meilleure façon de réaliser quelque chose de grand est d'arrêter d'essayer de réaliser une grande chose en particulier.
La sérendipité
L’histoire fourmille d’exemples où, en explorant des espaces de façon un peu hasardeuse, des esprits aiguisés ont déniché et remarqué des opportunités pour découvrir, inventer ou réaliser de grandes choses. C’est le concept de sérendipité : des découvertes qui ne sont pas fortuites au sens strict, puisqu’elles exigent du travail et une bonne dose de génie, mais qui ne sont pas non plus guidées par un objectif précis.
Être ouvert et flexible face aux opportunités est plus important que de savoir exactement ce que l’on cherche à accomplir.
La puissance de la nouveauté
Au lieu de nous enfermer dans la « mentalité de la finalité », les auteurs suggèrent de privilégier la recherche de la nouveauté pour elle-même. En explorant ce qui est différent ou surprenant, on peut faire des avancées inattendues. C’est ainsi que de grandes découvertes, comme la pénicilline ou le micro-ondes, sont nées : elles sont le fruit d'un mélange entre curiosité, exploration, et sérendipité, pas d’une planification rigoureuse.
Alors oui, parfois l’espace de recherche est déjà bien connu, et il peut être judicieux de suivre la trace d’explorateurs précédents. Mais votre propre futur, lui, n’a jamais été exploré.
En passant de « se fixer des objectifs » à « choisir ses espaces de recherche », on s’affranchit d’une pression constante inhérente à l'atteinte d'objectifs et on valorise l’exploration pour l’exploration, la nouveauté pour la nouveauté. Le tout est de rester attentif et prêt à saisir les opportunités cachées.
*1 Why Greatness Cannot Be Planned: The Myth of the Objective est un livre de Kenneth O. Stanley et Joel Lehman. Tous deux sont des chercheurs en intelligence artificielle, et leurs réflexions s’appuient sur des expérimentations scientifiques approfondies, notamment dans le domaine des algorithmes de « recherche de nouveauté ».
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